Impact Santé Afrique a le plaisir d’accueillir Dr. Etienne Fondjo dans le cadre de la rubrique #LaMinutePalu. Expert des questions de paludisme, il est entomologiste médical et Chef du Projet PMI VectorLink. Avec lui aujourd’hui, nous abordons le thème du lien entre le paludisme et l’environnement en Afrique, particulièrement au Cameroun.
Impact Santé Afrique : Bonjour Docteur ! C’est un plaisir de vous recevoir dans le cadre de cette rubrique. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?
Dr. Etienne Fondjo : Je voudrais commencer par vous remercier pour cette interview. Je suis le Docteur FONDJO, entomologiste médical de formation, qui par le passé a dirigé le Programme National de Lutte contre le Paludisme pendant plusieurs années. Depuis Octobre 2018, je suis le chef du projet VectorLink qui est l’un des cinq projets financés au Cameroun par l’Initiative du Président Américain depuis 2017. Notre activité est essentiellement liée à la lutte antivectorielle. J’expliquerai plus tard ce dont il s’agit.
Impact Santé Afrique : Peut-on en savoir un peu plus sur les vecteurs en question et connaitre le lien qui existe entre le paludisme et l’environnement ?
Dr. Etienne Fondjo : D’entrée de jeu, il faut dire que le paludisme est une maladie parasitaire qui est transmise par un moustique du genre anophèle, précisément l’anophèle femelle. Cela veut dire que si vous n’avez pas reçu une piqûre de ce moustique, vous ne pouvez pas avoir le paludisme. C’est important de le savoir. Il faut également noter que c’est une maladie qui aujourd’hui est un véritable problème de santé publique dans plusieurs pays africains. Les statistiques du Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP) indiquent qu’en 2020 plus de 3 millions de cas de paludisme ont été enregistrés, avec près de 4000 décès. D’où la place du Cameroun parmi les 10 pays qui ont le plus lourd fardeau du paludisme en Afrique sub-saharienne. Vous me demanderez la cause au Cameroun…
Le Cameroun est un pays assez diversifié, aussi bien sur le plan écologique que sur le plan climatique. On va d’une zone forestière dans le grand Sud qui est caractérisée par une pluviométrie abondante et qui dure toute l’année, à une zone de savane au Nord où la pluviométrie est assez limitée. Elle ne débute qu’au mois de juin-juillet et se termine octobre-novembre. Ce qui contraste avec le grand Sud où toute l’année il pleut ; bien sûr avec des périodes de pic. Cette diversité rend le Cameroun particulier, particularité qui s’observe également avec les vecteurs du paludisme. N’oublions jamais, le vecteur c’est l’anophèle femelle. Au Cameroun la faune anophelienne est assez dense : nous avons plus d’une vingtaine d’espèces dont une dizaine est impliquée dans la transmission du paludisme. VectorLink a suffisamment documenté ce phénomène depuis 2018.
Il y a de nombreux vecteurs au Cameroun, dans un environnement favorable à la transmission du paludisme.
En conclusion, le paludisme est lié à l’environnement car l’agent responsable de la transmission qui est l’anophèle femelle, commence son cycle de vie dans une eau stagnante. Donc s’il n’y avait pas d’eaux stagnantes, il n’y aurait pas de paludisme. Peut-on imaginer ce monde-là en Afrique ? La réponse est NON. Mais ce n’est pas une fatalité. Vu la situation, nous devons plutôt mettre en place des stratégies efficaces pour lutter contre cette maladie.
Impact Santé Afrique : Le paludisme étant fatalement lié à l’environnement, lequel n’est pas modifiable, est-ce à dire qu’on ne peut pas aspirer à une éradication de cette maladie ?
Dr. Etienne Fondjo : Nous devons travailler pour arriver à un environnement qui se dit : « avec des vecteurs, mais sans paludisme ». C’est le contexte de l’Europe aujourd’hui. On aurait donc de l’anophèlisme sans paludisme.
Impact Santé Afrique : Que signifie la résistance des moustiques aux méthodes de prévention dont on entend beaucoup parler et quelles en sont les causes ?
Dr. Etienne Fondjo : Je trouve que c’est une question très importante et la définition est assez simple. La résistance c’est la faculté que certains insectes ont à tolérer une dose létale qui tuerait des individus de la même espèce. Autrement dit, un insecte est résistant lorsqu’on le soumet à une dose qui tuerait les insectes de la même population, mais qu’il survit. C’est un caractère héréditaire, dans le sens que son évolution au sein de la population est due à des apports génétiques ; soit il y a des mutations soit il y a des migrations soit il y a des sélections.
Pour faire simple, imaginez que le bureau dans lequel nous sommes soit un environnement et que tout ce qui s’y trouve soit des anophèles. Ces anophèles au départ ne portent aucun gène de résistance, mais il suffit qu’un moustique qui porte ce gène entre dans cette salle pour qu’il y ait multiplication et plusieurs moustiques qui étaient au départ sensibles, deviennent aussi résistants au fur et à mesure.
Ce phénomène cause un sérieux problème à nos stratégies de lutte contre le paludisme et met même en péril certaines interventions. Grâce à des études menées par VectorLink depuis 2018, nous avons les preuves d’une résistance à certaines classes d’insecticides que nous utilisons sur les moustiquaires à savoir les pyréthrinoïdes. Le vecteur majeur du paludisme qui est l’Anopheles gambiae s.l. est résistant à cette classe d’insecticides. Et ladite résistance est assez élevée dans la plupart des sites au Cameroun. D’où la nécessité du Plan de Gestion de Resistance aux insecticides développé par le programme.
Impact Santé Afrique : Une dernière question Docteur. Selon vous, que faut-il faire de plus au Cameroun ou en Afrique pour booster la lutte contre le paludisme ?
Dr. Etienne Fondjo : La route est tracée par l’Organisation Mondiale de la Santé et les objectifs 2030 sont assez claires. Il y a les grands piliers sur lesquels il faut miser et l’un d’eux est le renforcement de la lutte antivectorielle. Mais ce doit être une lutte intégrée qui implique une forte participation communautaire, parce qu’une méthode isolée ne suffira pas pour atteindre l’élimination du paludisme.
Parlant de lutte intégrée, il faut mettre en place d’autres types d’interventions. Aujourd’hui la principale méthode de lutte antivectorielle au Cameroun est la moustiquaire imprégnée d’insecticide à longue durée d’action (MILDA). Elles restent efficaces mais au vue des niveaux de résistance des vecteurs, il faut penser à d’autres interventions additionnelles telles que les aspersions intra-domiciliaires utilisant des insecticides autres que les pyréthrinoïdes et aussi le traitement des gîtes larvaires où cela est possible , pour compléter les interventions majeures.
Vu l’ampleur du problème, on peut naturellement être limité par les moyens techniques, financiers et surtout humains dont nous disposons. C’est la raison pour laquelle VectorLink accompagne le Programme National de Lutte contre le Paludisme dans le renforcement des capacités techniques de son personnel, pour qu’ensemble nous puissions avoir un personnel qualifié ayant le savoir-faire nécessaire pour la mise en œuvre des stratégies.
Propos recueillis par Ségolène Moussala,
Senior Communications Officer, Impact Santé Afrique.